DÉCOUVERTES
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Olivier Lovey. Miroirs aux alouettes
Espace abstract, Lausanne, 30.09. – 22.10.2016, www.abstract.li
Olivier Lovey a conçu l’ensemble de son exposition à l’espace abstract en fonction du lieu. La majorité de ses créations est inédite. Vues d’installation, œuvres in situ et jeux avec le spectateur pris au piège du leurre, Miroirs aux alouettes est une subtile mise en espace de photographies qui nous confronte à l’illusion et au paradoxe des images.
Passé l’entrée, le visiteur pénètre à l’intérieur d’une installation photographique, Perspective d’avenir, dont la surface de 42 mètres carrés couvre les parois, le sol et le plafond du couloir. C’est une véritable traversée de l’image : l’œuvre, qui représente une voie de chemin de fer, se transforme au fur et à mesure de l’avancée, jusqu’à devenir incompréhensible. L’artiste invite ainsi le spectateur à interroger ses perceptions, voire à retourner sur ses pas pour trouver le point de vue idéal, donc à agir sur son propre corps pour « reconstruire » l’impression d’une photographie qui fait sens.
Parvenu dans la salle d’exposition, le visiteur découvre des tirages de format 100×122 cm qui présentent des installations réalisées en 2016 dans le paysage valaisan. La folie ordinaire est la photo d’une œuvre créée in situ à Monthey, dans le jardin de l’hôpital psychiatrique de Malévoz, afin de donner l’étrange sentiment d’un chalet flottant dans les airs. L’effet n’est peut-être pas aussi spectaculaire que Le Château des Pyrénées (1959) de René Magritte, mais il évoque ce grand maître des images trompeuses qui questionne sans cesse la représentation.
Avec ses œuvres photographiques, Olivier Lovey nous intrigue car il évoque l’entre-deux et l’ambiguïté des apparences : réel ou simulacre, espace intérieur ou extérieur, fermé ou ouvert… Une deuxième installation, Il est sept heures non loin d’ici, réalisée à Martigny, représente la photo d’un portail collée maladroitement sur un container de chantier de 300×600 cm se situant à quelques dizaines de mètres de ce portail, mais de l’autre côté de la rue. L’artiste obtient ainsi une image dans l’image où se trouvent réunis deux espaces à la fois différents et relativement proches : une sorte de faux raccord photographique. Dans Anachronie, ce sont deux temporalités distinctes qui se rencontrent, le paysage ayant changé au fil des saisons. Dans La fonte des glaces, un pan de tissu noir humide, suspendu au bord du Lac Léman, suggère un rideau de scène prêt à s’ouvrir sur un ailleurs mystérieux.
La réflexivité dans la pratique artistique d’Olivier Lovey est particulièrement développée dans son installation la plus récente, États des lieux, conçue pour et avec l’espace abstract. Un miroir a-t-il été disposé sur la paroi ? Le spectateur a le sentiment troublant de voir à la fois ce qui est devant et derrière lui, le champ et le contre-champ d’une photographie qui se prend pour un miroir du réel ! À côté, une photographie encadrée propose une autre version de cette vue : une image de l’image dans l’image. Comme l’artiste Nils Nova dans ses installations in situ ou Georges Rousse, qui combine peinture en trompe l’œil et photographie, Olivier Lovey interagit avec les visiteurs en faisant appel à l’anamorphose, l’emboîtement des images, la mise en abyme et les représentations impossibles, dans une atmosphère ludique et onirique.
Nassim Daghighian (octobre 2016)
Images: Olivier Lovey, Anachronie, 2016, tirage pigmentaire, 100×122 cm
Olivier Lovey, Etats des lieux, 2016, tirage pigmentaire, 100×122 cm
Festival Images Vevey. Immersion
L’événement incontournable de septembre est Images, biennale d’arts visuels créée à Vevey en 1995 et dirigée dès 2008 par Stefano Stoll. Pour sa cinquième édition, celui-ci confirme sa ligne artistique : un festival en plein air (29 projets artistiques sur un total de 75) accessible à un très large public, par son contenu et sa gratuité, mais qui offre aussi aux amateurs de photographie contemporaine l’occasion de découvrir des travaux récents, voire inédits et produits par Images.
Le visiteur averti ne manquera pas les projets primés par le Grand Prix Images Vevey, bisannuel, remporté l’an passé par Christian Patterson (1972, USA). L’artiste a conçu pour Images une installation-environnement, Gong Co., combinant photographies et objets pour reconstituer l’ambiance d’une épicerie vieillotte qui a fait faillite. Il a été inspiré par Andy Warhol, qui avait écrit dans son journal en 1975 : « Tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins. »
La biennale propose un hommage aux 50 ans du Montreux Jazz Festival qui permet d’explorer la richesse des associations entre images, sons et musique dans cinq expositions. Le fil rouge thématique de l’immersion – terme à prendre au sens littéral ou figuré – est présent dans quelque cinquante projets. Stefano Stoll souligne l’importance qu’il donne à l’ancrage de chaque projet dans un lieu, la plupart des expositions offrant une scénographie originale. L’immersion des images dans la ville de Vevey joue avec la présence du lac, dans lequel sont plongés les travaux de Guido Mocafico, célèbre photographe de publicité, et de la japonaise Asako Narahashi.
Les relations entre analogique et numérique, l’interactivité, la participation, voire l’immersion des visiteurs sont également convoquées. Pour faire apparaître les magnifiques œuvres de la série Coexistence de Stephen Gill, couvertes d’un vernis opaque hydrosoluble, le visiteur les asperge d’eau. Le sujet de l’inondation est traité dans les architectures fictives construites en studio par James Casebere ou les vues panoramiques documentaires « post-tsunami » de Michel Huneault. D’autres projets évoquent les nuages de la météo ou les clouds d’internet : entre science et art, Berndnaut Smilde fabrique des nuages dans des intérieurs, alors que Mat Collishaw crée une pluie de pixels pseudo-mystique, malicieusement installée dans une église.
Outre les grands noms (Martin Parr, Alec Soth…), on découvre avec plaisir les jeunes talents de la photographie contemporaine comme Florian Amoser (ECAL) ou les étudiants de l’École supérieure de photographie de Vevey (CEPV) dans l’exposition Des mondes meilleurs.
Nassim Daghighian (septembre 2016)
Christian Patterson. Gong Co. – Grand Prix Images Vevey 2015/2016
Né en 1972 à Fond du Lac, Winsconsin, Christian Patterson vit et travaille à New York. Photographe autodidacte, son travail est reconnu internationalement notamment suite au succès éditorial de Redheaded Peckerwood, livre publié aux éditions MACK en 2011. Il résume sa proposition pour le Grand Prix Images Vevey en citant Andy Warhol : «All stores will become museums and all museums will become stores.»
Extrait de la déclaration du jury :
» Gong Co. de Christian Patterson recourt à une large variété de médiums, en questionnant l’usage traditionnel de la photographie et en ouvrant de nouveaux horizons dans le domaine. En septembre 2016, cet artiste américain reconstituera à Vevey, sous la forme d’une installation, une épicerie du Mississipi qui a récemment fermé et dont il a récupéré du mobilier ainsi que conservé et photographié de nombreux produits. Dans ce projet d’environnement interactif, la photographie n’est plus simplement un moyen de représenter la réalité, mais devient la composante d’un dispositif narratif construit en recourant à divers moyens d’expression. Le projet interroge le consumérisme, l’immigration et le changement social dans les sociétés capitalistes. Les tensions entre fiction et réalité, entre narration collective et histoire individuelle seront également explorées en confrontant la puissance émotionnelle des images à celle du langage. »
Source du texte ci-dessus (à consulter pour une vidéo du jury) :
http://www.images.ch/fr/grand-prix-images/presentation/les-projets-laureats-20132014/
Images : © Stephen Gill, Sans titre, de la série Coexistence, 2012. Courtesy Christophe Guye Galerie. Festival Images Vevey 2016
© Christian Patterson, de la série en cours Gong Co., 2015-2016. Lauréat du Grand Prix Images Vevey
Delphine Burtin. La dimension cachée
Depuis Disparition (2012), la figure humaine est présente en filigrane dans l’ensemble de l’œuvre photographique de Delphine Burtin (1974, CH), bien qu’au premier regard, ses séries semblent plutôt appartenir au genre de la nature morte, tant elle est habile à travailler avec les objets, issus pour la plupart du quotidien. La simplicité, comme l’ambiguïté des représentations et de nos perceptions, sont des éléments essentiels de sa démarche. Dans sa série la plus récente, La dimension cachée (2015-2016), l’élément humain est explicitement le sujet des images. L’artiste s’est inspirée du concept de proxémie d’Edward T. Hall 1 dans son ouvrage devenu une référence, La Dimension cachée. Dans le cadre de son exposition personnelle au PhotoforumPasquArt 2, Delphine Burtin a conçu une installation originale présentée pour la première fois. Elle juxtapose et superpose de manière complexe des blocs anthracites contenant les photographies, qui sont ainsi mises en boîte plutôt qu’encadrées. La sculpture obtenue oscille entre monument symbolique et silhouette à l’aspect vaguement humain. Une fois que le visiteur s’est approché de l’installation et en a fait le tour, prenant conscience de la distance qu’il établit avec elle, plusieurs éléments proxémiques lui sont suggérés par les images. Un long cordon électrique emmêlé évoque des relations interpersonnelles difficiles, alors qu’une perruque, de faux ongles ou des cils posés sur un miroir nous renvoient à la société du paraître (jeune ? belle ?), au prix de nombreux artifices, voire sacrifices. Comment attirer l’autre dans un environnement peu propice aux rencontres ? Jusqu’à quelle distance se laisse-t-on approcher ? L’œuvre est plutôt une source de questionnements multiples qu’une réponse à la complexité des relations humaines.
Dans une vue urbaine prise en plongée – on reconnaît aisément la place de l’Europe à Lausanne, – les êtres humains n’apparaissent qu’en découpe blanche et sous forme d’ombres ou de reflets (le sol est-il mouillé ?). L’image est rephotographiée et l’observateur attentif peut remarquer l’ombre portée du papier au bord de chaque silhouette découpée. Ces jeux subtils avec le matériau photographique, la surface de l’image et la troisième dimension sont caractéristiques du travail de Delphine Burtin. L’exposition au PhotoforumPasquArt curatée par sa directrice, Nadine Wietlisbach, offre l’intérêt de mettre en évidence la cohérence et les liens subtils entre les séries récentes de l’artiste. Pour ceux qui ne les ont jamais vues exposées, la découverte se fera dans l’ordre chronologique avec des images d’Encouble (2013-2014) – dont une très belle photographie inédite – présentées dans le large couloir reliant les salles ainsi que dans la salle limitrophe. L’installation élaborée par la photographe enrichit la lecture de son travail. Comme ses œuvres jouent avec nos perceptions, avec l’ambivalence de la représentation et les nombreuses interprétations possibles, les variations d’accrochage stimulent le regard. Certaines images sont collées à même le mur, se glissant parfois jusqu’au sol ou épousant le coin d’une pièce, alors que d’autres sont placées dans des cadres américains très fins, peints selon la teinte dominante de la photographie. Les œuvres plus petites ont des cadres saillants qui leur donne l’aspect de bijoux dans leur écrin. Bien entendu, la diversité des formats contribue à rendre le visiteur attentif à l’inscription des photographies dans l’espace, de même que les objets représentés par les images ne sont parfois que des photographies de photographies. Le coin d’une image est plié et se détache du mur. La tentation de le » remettre à sa place » est grande pour de nombreux visiteurs ! Il y a bien un aspect ludique et réflexif dans la démarche de Delphine Burtin, qui sait tirer parti de ses compétences de graphiste lorsqu’elle met en espace ses œuvres.
Avec Sans condition initiale (2014-2015), l’artiste va au-delà de l’objet photographié pour travailler l’image comme sculpture : l’un de ses tirages a été réalisé pour épouser les formes d’un cube posé à même le sol. Les images de cette série sont souvent des assemblages d’objets ordinaires que Delphine Burtin extrait de leur contexte habituel (d’où le titre de la série !). Pour ce travail, un contre-collage sur alu posé sur un épais support blanc donne clairement un statut d’objet à chaque photographie.
La dimension cachée trône au centre de la dernière salle et me suggère un totem en cours de construction alors qu’aux murs se trouvent deux autres productions récentes : trois images de la série Gisant, qui montrent des objets ou des lieux emballés – l’emballage est un motif cher à l’artiste depuis Disparition – et, leur faisant face, le magnifique triptyque Exuvie tiré sur du papier de soie et suspendu à une dizaine de centimètres du mur, flottant légèrement et captant les effets de la lumière. L’exuvie est l’enveloppe qu’un animal laisse après sa métamorphose et, ici, c’est un tissu blanc accroché à un fil, qui dissimule un volume mystérieux, vide ou plein, comment savoir ? Ce triptyque poétique, qui rappelle le voile de Véronique, est une fenêtre ouverte sur un univers spirituel que l’on peut imaginer grâce aux œuvres subtiles de Delphine Burtin.
Nassim Daghighian (juillet 2016)
Delphine Burtin (1974, CH) est diplômée de la Formation supérieure en photographie à l’Ecole supérieure d’arts appliqués de Vevey (CEPV) en 2013. Elle est également graphiste depuis 1996, métier qu’elle pratique encore comme indépendante. Sa série Disparition (2012) est exposée en 2012 lors du festival Images, Vevey, et au PhotoforumPasquArt, Bienne, puis en 2013 au festival Les Boutographies, Montpellier, à la Galerie Subsitut, Berlin, et à la Galerie Emmanuel Guillod, Vevey. Sa série Encouble (2013-2014) connaît un succès international lorsqu’elle remporte le Prix HSBC 2014, après avoir reçu le premier prix de Selection | PhotoforumPasquArt en 2013. Sa série Sans condition initiale (2014-2015) est présentée pour la première fois dans le cadre de l’exposition reGeneration 3 au Musée de l’Elysée, Lausanne, en 2015. L’artiste apprécie l’installation pour présenter ses séries de manière différente selon le lieu d’exposition, mais elle attache tout autant d’importance au livre d’artiste auto-édité réalisé avec soin. Le premier, Encouble (2013) a été sélectionné lors prix du livre Paris Photo 2013 alors que le second, Sans condition initiale, est sorti en 2015. www.burtin.ch
1. L’anthropologue américain Edward T. Hall (1914 – 2009) publie en 1966 The Hidden Dimension. Cette dimension cachée correspond à l’espace qui s’établit entre un individu et un autre lors d’une interaction. La distance entre deux personnes dépend en grande partie de facteurs socio-culturels. La proxémie est définie comme » l’ensemble des observations et théories que l’Homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique » (Edward T. Hall, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1971, p.13). Hall définit quatre principaux types de distances relationnelles : intimes, personnelles, sociales et publiques.
2. Delphine Burtin & Elmar Vestner, Éclat emballé, PhotoforumPasquArt, Bienne, 3.7. – 28.8.2016, www.photoforumpasquart.ch. Voir en page 52 de Photo-Theoria 11.
Pour voir une présentation vidéo des livres d’artistes de Delphine Burtin : lien
Pour voir l’article avec les illustrations, prière de voir Photo-Theoria 11, été 2016 : PDF
Images : © Delphine Burtin, à gauche: La dimension cachée, 2015-2016, installation, à droite: Exuvie, triptyque, 2016, impression sur papier de soie. PhotoforumPasquart, Bienne, 2016, photo : D.Burtin
© Delphine Burtin, Sans titre, de la série La dimension cachée, 2015-2016
50JPG. Caméra(Auto)Contrôle
50 jours pour la photographie à Genève, CPG, Bâtiment d’art contemporain, Genève, 01.06 – 31.07 2016, www.50jpg.ch
Commissaires : Joerg Bader, directeur du CPG, et Sébastien Leseigneur, curateur associé au CPG
Caméra(Auto)Contrôle, l’exposition principale des 50JPG organisés par le Centre de la Photographie Genève (CPG), traite de l’omniprésence des caméras (photo, vidéo) dans nos sociétés actuelles et nous propose une réflexion sur les rapports de pouvoir en lien avec le regard, la surveillance et l’enregistrement de données personnelles par des systèmes automatisés. Quel contrôle avons-nous de notre propre image et quelles manipulations s’exercent sur nous à notre insu ? Les artistes, tout comme les cyberactivistes, se sont interrogés sur les caractéristiques des dispositifs de surveillance, sur leurs implications (atteintes à la liberté, censure, etc.) et sur l’ambiguïté de notre attitude dans l’usage des réseaux sociaux, en particulier l’engouement pour les selfies ou le sharenting, dont les effets pervers semblent sous-estimés par les usagers. Cette vaste exposition présente plusieurs projections, des installations et des travaux photographiques critiques. Dans une attitude post-féministe typique de l’artiste, Jemima Stehli déconstruit l’approche du corps de la femme comme objet en proposant un strip-tease privé aux professionnels importants pour sa carrière (marchand d’art, galeriste, curateur ou critique d’art). Elle feint de donner le pouvoir à ces hommes en leur confiant le déclencheur, mais son visage et certaines parties intimes de son corps sont maintenus hors-champ, alors que nous pouvons scruter les autoportraits réalisés par les » voyeurs » ; le serions-nous aussi ?
Quelques travaux précurseurs et importants historiquement ponctuent l’exposition, comme les installations de William Anastasi (Transfer, 1968, une caméra posée sur un moniteur qui filme la prise électrique qui les alimente) et de Dan Graham (Yesterday / Today, 1975 : l’image du moniteur nous montre l’intérieur du bureau de direction du CPG filmé en direct tandis que le son est transmis avec un retard de 24 heures), ou encore les photos de Lynn Hershman Leeson, pionnière dans le domaine des nouveaux médias, qui s’invente des doubles et explore les déterminismes socio-culturels du genre féminin. Les œuvres de la série Phantom Limb montrent » l’absorption de l’identité féminine dans les médias et les technologies » (propos de l’artiste sur son site). Dans une image récente tirée de la série iPhone Crack (2010-2012), un visage de femme au regard inquiet – l’artiste elle-même – apparaît sur un smartphone au verre brisé. Dans l’univers globalisé d’internet, les limites du moi s’effritent et une fracture identitaire apparaît.
Sébastien Reuzé présente la série Indian Springs (2015-2016) sous forme d’installation photographique accompagnée d’un livre d’artiste édité par le CPG et Herman Byrd. Il a été autorisé à photographier la Creech Air Force Base d’Indian Springs où les soldats pilotent des drones en action au Moyen-Orient ; un matériel similaire à celui des jeux vidéo permet de tuer à distance. Les portraits en intérieur ont été mis en scène et plusieurs photographies de la série sont modifiées en post-production : leurs couleurs sont altérées, à dominante jaune, et certaines prises de vue ressemblent à des doubles expositions. La perception du réel s’en trouve ainsi fortement perturbée face au montage complexe des images qui se chevauchent. Avec quelques objets, notamment un siège de bureau, une veste et une casquette couverts de cristaux de sel, l’ensemble de l’installation instaure une fiction anxiogène : » Le rêve remplacera le réel, ou le réel commencera enfin à partir du coma » (livre d’artiste, p.1). Sébastien Reuzé s’inspire de l’écrivain de science-fiction J.G. Ballard et cite l’ouvrage critique de Grégoire Chamayou, Théorie du drone (2013).
Depuis 2013, Giacomo Bianchetti réalise des images documentaires en périphérie du Bilderberg, une réunion secrète informelle d’environ cent-trente personnalités majeures du monde politique, économique et médiatique, qui se tient chaque année dans un hôtel de luxe depuis 1954. Une zone interdite d’accès est mise en place durant la conférence, ainsi qu’un dispositif de sécurité important : des centaines de policiers, de militaires et d’avions de surveillance. Dans l’exposition, Bilderberg 2015 est présenté sous la forme d’un journal édité par le CPG, avec les photographies prises du 11 au 14 juin 2015 à Telfs-Buchen (Autriche) accompagnées de textes explicatifs et d’un schéma des trajets effectués par le photographe. Celui-ci explore les limites territoriales de la zone ultra-sécurisée, entre visibilité du dispositif de surveillance et événement caché. Il teste l’effet du pouvoir sur son espace de liberté : » Muni d’une chambre photographique, cantonné sur le sol public, j’ai malgré tout subi onze contrôles de police et trois menaces d’arrestation. » (journal, p.16)
Comme le montrent les quelques œuvres mentionnées ici, les 50JPG permettent de découvrir une sélection internationale d’artistes, des plus renommés aux jeunes talents. L’image en mouvement (projections, moniteurs) y est omniprésente, voire envahissante. L’attention du visiteur lambda est fortement sollicitée et le sens de certains travaux lui échappe ; seule la lecture du guide publié pour l’occasion permet de mieux comprendre chaque démarche artistique (textes disponibles sur www.50jpg.ch). En effet, les œuvres choisies par les curateurs ont de fortes dimensions critique et politique, mais également conceptuelle et performative. Caméra(Auto)Contrôle pousse le visiteur hors de sa zone de confort habituelle. On s’interroge sur les notions de liberté et de sphère privée, qui semblent se dissoudre dans le flux d’images et d’interconnexions. Pour conclure, je citerai le texte présenté par Julian Assange à la fin de la vidéo de ! Mediengruppe Bitnik : » Transparency for the state ! Privacy for the rest of us ! »
Nassim Daghighian (juin 2016)
Pour voir l’article avec les illustrations, prière de voir Photo-Theoria 10, juin 2016 : PDF
Images :
© Rafael Lozano-Hemmer, Surface Tension, 1992, écran LCD HD, système de surveillance assisté par ordinateur, logiciel, installation interactive (l’oeil s’ouvre à l’apparition du visiteur puis le suit du regard), dimensions variables ; photo : Marek Krzyzanek, exposition No, no, I Hardly Never Miss a Show à la Zacheta National Gallery of Art, Varsovie, 2011. Courtesy l’artiste et Art Bärtschi & Cie
À gauche : Sébastien Reuzé, Indian Springs, 2016, installation. À droite : Jemima Stehli, Strip, 1999-2000, ensemble de 56 c-prints. Courtesy les artistes. Vue de l’exposition Caméra(Auto)Contrôle, 50JPG, 2016, photo : © Sébastien Leseigneur/CPG.
© Viktoria Binschtok, World of Details (tire-man + flat fixed), 2011, c-print, 89×98 cm et impression jet d’encre, 18×26 cm. Courtesy l’artiste et KLEMM’S Berlin. L’artiste se rend sur les lieux photographiés par Google Street View (image du haut, n/b) pour réaliser ses propres images (photo couleurs).
Michel Le Belhomme. Les Deux Labyrinthes
Journées photographiques de Bienne, 29.04. – 22.05.2016
www.bielerfototage.ch
Michel Le Belhomme (1973, FR) présente sa nouvelle série Les Deux Labyrinthes (2012 – en cours) dans le cadre des 20 ans des Journées photographiques de Bienne. 1 Son point de départ est le choix d’un titre, inspiré ici par une nouvelle de Jorge Luis Borges, » Les deux rois et les deux labyrinthes « . Ce petit texte évoque deux types de rapport à l’espace : la complexité du premier labyrinthe, construit par les humains, est dialectiquement opposée au second, mystérieux et divin : le désert. La série Les Deux Labyrinthes analyse et interroge les représentations du paysage. Ce travail évoque également l’aphorisme du philosophe Alfred Korzybski : » une carte n’est pas le territoire « .
L’artiste s’approprie toute une iconographie (photos de paysages, cartes, mappemondes, etc.) qu’il déconstruit pour proposer des re-constructions ambiguës réalisées dans son atelier après de nombreuses expérimentations sur la base de scenarii, de croquis préparatoires et de tentatives pour modifier son matériau visuel : il plie, froisse, assemble des fragments, » sculpte » des formes puis photographie le résultat de sa mise en scène. Il obtient ainsi des images d’images nées de son imagination qui questionnent notre connaissance et notre perception des lieux : explorer le territoire et l’expérimenter » […] comme une déambulation initiatique, entre errance contemplative et enfermement labyrinthique. Chaque image procède d’abord d’une mise à plat des évidences et d’une reconfiguration. Il s’agit là encore d’expérimenter les échelles de représentation en se réappropriant l’ordinaire dans un jeu poétique et sémiotique, par détournement des signes distinctifs, comme il le fait pour la carte routière ou la mappemonde. Minimaliste par l’économie de moyens mise en œuvre, son esthétique est néanmoins plus sophistiquée qu’il n’y paraît, nourrie de références et d’emprunts au langage pictural, sculptural ou autre. « 2 Les installations originales proposées à l’artiste par les Journées photographiques de Bienne accentuent l’aspect sculptural de son travail et sont particulièrement adaptées au lieu (Le Grenier de l’Ancienne Couronne).
Nassim Daghighian (mai 2016)
1. Pour lire mon comptre rendu du festival, prière de voir la section Suisse Romande de Photo-Theoria 09 à la page 32 : PDF
2. Boutographies 2015 : lien
→ Interview de Michel Le Belhomme dans le cadre des Boutographies 2015, 4’24 » : lien
Interview audio des Journées photographiques de Bienne 2016 : lien
Images : © Michel Le Belhomme, Les Deux Labyrinthes, 2012 – en cours.
Vue de l’installation aux Journées photographiques de Bienne 2016, photo : © Yannick Luthy
Daisuke Yokota. Color Photographs
Explorer la couleur autrement et expérimenter la matière photographique : Daisuke Yokota (1983, Japon) emploie des plans-films de grand format encore inutilisés et leur applique différentes méthodes inhabituelles de développement, s’attaquant à la chimie des matériaux, voire en détruisant partiellement le support. L’artiste produit des images abstraites qu’il scanne ensuite pour en faire des tirages pigmentaires. Pour voir les images de cette série : www.harpersbooks.com
Livre : Daisuke Yokota, Color Photographs, New York, Harper’s Books / Tokyo, Flying Books, 2015
Image : Daisuke Yokota, Sans titre, de la série Color photographs, 2015, tirage pigmentaire, 198.1×162.6 cm
Maya Rochat. Too Much Metal for One Hand
L’exposition de Maya Rochat, Too Much Metal for One Hand, présentée à l’Espace Quai 1 (16.3.-23.4.2016) par le Festival Images, Vevey, permet de s’immerger dans son univers plastique foisonnant. Cette artiste pluridisciplinaire pratique autant la photographie que la vidéo, la performance et l’installation. Ses images mêlent différentes techniques d’intervention, manuelles, analogiques et digitales, telles que le collage, la déchirure, la surimpression, l’écriture, le dessin, la peinture ou le spray. Elle a également réalisé plusieurs livres d’artiste en combinant la risographie et le spray fluo (Vote for me!, 2012) ou l’offset, la sérigraphie et le stencil (A Plastic Tool, 2015, ouvrage présenté dans l’exposition de Quai 1). […]
Maya Rochat (1985, DE, CH) a obtenu un Bachelor en communication visuelle, département photographie, à l’ÉCAL en 2009 et un MFA du Work.Master à la HEAD de Genève en 2012. Elle vit entre Berlin et Clarens. www.mayarochat.com
Image : Maya Rochat, exposition Too Much Metal for One Hand, Espace Quai 1, Vevey, 2016, photo : Delphine Schacher
Pour lire le compte rendu complet dans Photo-Theoria 08, avril 2016 : PDF
Mathieu Bernard-Reymond. Transform
L’exposition Transform, organisée début 2016 à la Galerie Heinzer Reszler à Lausanne, permet de découvrir une nouvelle facette du travail artistique de Mathieu Bernard-Reymond. L’ensemble se présente comme une installation photographique contemporaine audacieuse, conçue spécifiquement pour l’espace de la galerie. Les principes de production, de transformation, de juxtaposition, voire de superposition, qui guident les diverses modalités d’accrochage, sont étroitement liés aux lieux représentés. Les différentes étapes de la création artistique sont explicitement mises en relation dans l’exposition, perçue comme un medium en soi. […]
Mathieu Bernard-Reymond (1976, FR) est diplômé de la Formation Supérieure en photographie de Vevey (CEPV) en 2002. Il a remporté le Prix de la fondation HSBC pour la photographie en 2003, le prix No-Limit des Rencontres d’Arles en 2005, le premier prix du salon Paris Photo en partenariat avec BMW en 2006, ainsi que le prix Arcimboldo pour la photographie numérique en 2009. Il a publié deux ouvrages, Vous-êtes ici (2003, Actes-Sud) et TV (2008, Hatje Cantz). Mathieu Bernard-Reymond a présenté son travail dans de nombreuses expositions personnelles en Europe, en Chine, au Japon et à New York, notamment Des Mondes Possibles, Musée Nicéphore Niépce, 2010 ; Elements, Galerie 14-1, Stuttgart, Allemagne, 2011 ; Intervalles et Disparitions, Ku-Gallery, Taïpei, Taiwan, Chine, 2011-2012 ; Monuments, Galerie Heinzer Reszler, Bruxelles, 2012 et 395’573, Galerie Heizer Reszler, Lausanne, 2014. www.matbr.com
Pour lire le compte rendu complet dans Photo-Theoria 07, mars 2016 : PDF
Neige Sanchez. À la surface des corps
« Depuis plus de deux ans, Neige Sanchez mène un travail sur l’identité et le genre, ou plutôt sur la non-définition, l’indétermination et l’autodétermination, ainsi que la construction et déconstruction des identités. Elle va à la rencontre de personnes qui ne s’identifient pas à l’une des catégories binaires homme/ femme, mais qui en questionnent les stéréotypes, voire qui s’affranchissent de toute définition concernant leur identité de genre. Pour la photographe, le corps devient la matière première de la fabrication de l’identité. Malléable, il est propice à la transformation, et son langage se transmet par les gestes, les postures, les actes et les regards. Evoluant au fil du temps, il est aussi vecteur de représentations culturelles, sociales et politiques, vacillant entre le privé et le public. Les portraits, et les attributs photographiés qui s’articulent autour d’eux, ne décrivent pas des situations ou des identités précises et détaillés mais forment collectivement ce que la photographe appelle un grand puzzle identitaire. »
PhotoforumPasquArt, 2015
Travail présenté dans le cadre de l’exposition Prix Photoforum 2015 SELECTION │AUSWAHL
au PhotoforumPasquArt, Bienne / Biel, 06.12.2015 – 18.01.2016 ; www.photoforumpasquart.ch
Images: Neige Sanchez, Sans titre, de la série À la surface des corps, 2012-2015
Dylan Perrenoud. Yes I do Hear Voices
« En étant attentif à des éléments relativement simples et par un procédé que je nommerai « microcosmisation », je questionne notre rapport à l’écoulement du temps. Tout en me rapprochant d’une pratique de la récolte et de la mise en « évidence » propre à l’archéologie ou à la botanique, j’insuffle aux objets et aux paysages une charge historique personnelle où s’immiscent les démons aussi bien que les élucubrations métaphysiques et philosophiques d’un être en devenir. »
Pour en savoir plus, interview de l’artiste par Sagmal, posté en déc. 2015 : www.sagmal.ch
Images : Dylan Perrenoud, de la série Yes I do Hear Voices, 2013
Benoît Jeannet. A Geological Index of the Landscape
« A Geological Index of the Landscape traite de l’invention du paysage et son existence naissante par la représentation. Ce travail s’inspire du besoin frénétique de l’homme de vouloir rendre le monde à son échelle afin de se l’approprier. Le projet se construit autour du conflit permanent qu’entretient l’homme entre l’émotionnel et le rationalisme. La fascination pour les mystères du monde et les formes géologiques qui en émanent sont confrontées au besoin obsessionnel et absurde de l’homme de vouloir catégoriser le singulier. »
Texte tiré de la publication ECAL Diplômes 2015
« Ce projet s’inspire du concept d’Anne Cauquelin (philosophe, essayiste et plasticienne française) selon lequel le paysage est une invention existante par la représentation. Il se construit dans la tension émanant du conflit que l’homme entretient entre l’émotionnel et le rationalisme et de son besoin frénétique de rendre le monde à son échelle afin de se l’approprier. Les images ont été réalisées et assemblées dans l’idée d’une recherche perpétuelle. D’une question émane une réponse de laquelle découle une réflexion et ainsi de suite. Toute recherche est sensée conduire à une conclusion. L’intérêt de A Geological Index of The Landscape se situe dans ses lacunes et dans l’illusion d’une potentielle exhaustivité. »
Benoît Jeannet, note d’intention, Prix PhotoforumPasquArt 2015
Benoît Jeannet a obtenu son CFC de photographe au CEPV en 2012 avant de finaliser son Bachelor en photographie à l’ECAL en 2015 (Mention très bien, Prix Profot). Son travail de diplôme fait l’objet d’un livre d’artiste intitulé A Geological Index of the Landscape, 2015, et a été récompensé par le Prix PhotoforumPasquart 2015. En 2012, il présente une exposition personnelle à Focale, Nyon : Where is Mr. X? Il a également participé à de nombreuses expositions collectives. www.benoitjeannet.ch
Images : Benoît Jeannet, de la série A Geological Index of the Landscape, 2015 © Benoît Jeannet / ECAL
Vue de l’installation par Hadrien Haener.
Olivier Lovey. Memorabilia
« L’ambiance mystérieuse et l’ambiguïté du monde créé par le photographe Olivier Lovey nous laissent une grande liberté d’interprétation. […] Memorabilia est une œuvre ouverte, dans laquelle sont possibles de nombreuses relations entre les photographies et ce qu’elles représentent. L’artiste aime réaliser des images fortes, poétiques, aptes à produire l’émerveillement, qu’il appelle des ‘images trophées’. »
Nassim Daghighian (in Memorabilia, 2015)
« Le titre Memorabilia est inspiré d’une chanson du groupe Soft Cell en 1981. Ce mot m’a toujours attiré ; il renvoie à une collection d’objets que l’on garde précieusement pour se rappeler du passé. En songeant au titre de mon livre, je pensais aussi au mot « souvenir », bien que je n’aie jamais pris de photos de souvenir ! Malgré tout, les photographies que je prends évoquent toujours une histoire, un lieu, des expériences personnelles et fonctionnent comme des repères temporels dans ma vie. Elles sont comme de petits trophées. C’est ce que je considère comme ma production alternative, qui n’entre pas dans une série définie. Je pars souvent faire des prises de vues sans but précis et lorsque je trouve un motif qui m’intéresse, je fais quelques essais et soudain une image fonctionne. Le titre Memorabilia renvoie donc à cette idée d’images trophées, sans rapports apparents entre elles, collectionnées au fil du temps sans savoir a priori qu’en faire. »
Olivier Lovey (in Memorabilia, 2015)
Livre : Olivier Lovey, Memorabilia, Lausanne, NEAR / Berne, Till Schaap Edition, juin 2015, texte de N.Daghighian, FR, DE, EN, 84 pages, 45 illustrations, CHF 28.-
Images : Olivier Lovey, Sans titre, 2011 et 2014
Simon Rimaz. Picturoïde
« Travail photographique classique, Shroud se compose de photogrammes. Dans ce cas, l’espace est celui de l’atelier de l’artiste. Ici, le papier argentique vierge de toute lumière est mouillé et étalé dans le laboratoire. Laissé dans le noir pendant plusieurs jours, il sèche et se déforme suivant la trame de ses propres fibres ou la surface sur laquelle il est couché. Une brève interférence lumineuse, provenant d’une lampe de bureau, vient alors surprendre les contours drapés et fixe ces contorsions. Une fois développés, les papiers perdent leur pose et s’aplatissent, laissant comme seule trace l’image de leur existence. »
Extrait du communiqué de presse
Exposition : Galerie Forma, Lausanne, 22.05. – 18.07.2015, www.forma-art.ch
Image : Simon Rimaz, de la série Shroud, 2015, photogramme, papier argentique